« L’obsession inconsciente que nous, photographes, avons est que partout où nous allons, nous voulons trouver le thème que nous portons en nous » Graciela Iturbide
Du 12 février au 29 mai 2022, découvrez à la Fondation Cartier la première grande exposition en France de la photographe mexicaine Graciela Iturbide. De ses premiers portraits des populations indigènes du Mexique à ses derniers voyages en Inde et en Italie dans les années 2010, cet évènement se veut être une exposition-portrait de l’artiste, dont la scénographie a été réalisée par son fils, Mauricio Rocha. Une pièce est dédiée aux photographie de son studio à Mexico City, au 37 calle Heliotropo, donnant le nom de l’exposition.
L’exposition commence au rez-de-chaussée avec les derniers travaux de Graciela Iturbide. On y trouve une étude de cactus au Jardin Botanique de Oaxaca, réalisée en 1996 avec son ami Francisco Toledo. Des objets du quotidien, traces du rituel mondain, sont capturés par la photographe, qui dès le début des années 90 abandonne peu à peu le portrait pour réaliser des œuvres complètement dénuées de présence humaine.
Ce basculement s’est fait lorsqu’elle assista à l’abattage rituel de chèvres des peuples mixtèques des hautes terres de Oaxaca. Cette expérience spirituelle transforma profondément l’artiste et sa vision de la photographie.
Ainsi, Iturbide photographie plusieurs éléments qui font partie de ses « obsessions inconscientes » comme elle les nomment dans un entretien. Les oiseaux et leur envol, sont présents dans ses rêves et ses prémonitions. Les vestes, les yeux, les chaussures, font tous parti de son univers.
La photographie de l’objet a été particulièrement significative dans l’œuvre d’Iturbide lors de son premier voyage en Inde, en 1997. Lors d’un entretien, elle exprime que l’Inde était trop forte en impressions, trop intense. Le portrait présentait une confrontation trop forte, ne permettant pas de véritablement saisir la vie sur place. C’est à partir de là que les formes et les objets la ramenèrent plus près de l’expérience humaine. L’objet symbolise l’expérience, le sentiment, l’émotion ou le rituel en un geste, une image. Ainsi, photographier l’objet devenu symbole est un langage plus accessible qui permet d’évoquer le quotidien et le vécu.
Cette prise du symbolique se transmet dans de nombreuses séries réalisées au cours de ses voyages, aux Etats-Unis comme en Italie, en Inde, au Bangladesh, ainsi que tout le Mexique. On peut observer une réelle obsession pour la verticalité ainsi que l’entrecroisement de fils : de nombreuses images de câbles électriques s’élevant dans les airs, des racines et des lianes se divisant à l’infini, et le mouvement toujours montant des oiseaux. Ces lignes semblent former le réseau de son esprit, de ses pensées, et de ses aspirations spirituelles.
Au même étage se trouve des photographies en couleurs, fait rare dans sa carrière, commandités par la Fondation Cartier pour l’exposition. Graciela Iturbide est allée à Tecali, un village proche de Puebla où l’on y trouve des grandes carrières d’albâtre. Les immenses blocs de pierres superposés sur le bleu éclatant du ciel forment un contraste de couleurs monolithiques étonnant, où la minéralité et la lumière priment.
La seconde partie de l’exposition continue au sous-sol, où l’on retrouve principalement les portraits qui ont rendu Graciela Iturbide si célèbre, allant du début des années 70 à la fin des années 80.
Une grande partie de son œuvre de cette période est de la photographie ethnographique, incluant notamment ses portraits du peuple Seri du désert de Sonora et ses séries à Juchitan dans l’état de Oaxaca, où elle y photographie les femmes Zapothèques. Une salle est dédiée à son studio à Mexico City, photographié par l’artiste mexicain Pablo Lopez Luz. Ce studio se présente comme tour de brique s’élevant sur trois étages, réalisé par son fils et architecte Mauricio Rocha à sa demande. Elle souhaitait un lieu protégé des regards, où elle pouvait travailler, mais également se ressourcer et abriter son impressionnante collection d’œuvres acquises lors de ses nombreux voyages.
Son œuvre a donné un nouvel élan à la photographique ethnographique, autrefois très populaire dans les années 40. Loin d’être des clichés purement documentaires, ses portraits se révèlent poignant et empreint d’émotion. Qu’ils expriment la joie ou la douleur, les photographies d’Iturbide capturent avec finesse et discrétion un instant du quotidien de ses sujets.
Sa série Cholos, qui photographie les gangs mexicains de Los Angeles, exprime tout le talent d’Iturbide : une extrême vulnérabilité s’offre au spectateur, tout comme une volonté visible du sujet de s’exprimer selon son désir, un choix respecté par la photographe.
Dans ses entretiens, l’artiste explique qu’elle passe beaucoup de temps avec les populations qui l’accueille, prends le temps de discuter avec eux, tout en respectant leur intimité. Pour elle, le travail de photographe demande une patience et un immense respect de son environnement. C’est un mélange de hasard et de recherche.
Mais se dégage encore et toujours les « obsessions inconscientes » de l’artiste, comme le monde du carnaval, l’imaginaire de la mort au Mexique, les objets typiques d’une culture et d’un lieu, comme les iguanes, les masques et les angelitos. Tous ces sujets font partie des différentes cultures mexicaines qu’elle rencontre, mais également de son propre imaginaire. L’œuvre de Graciela Iturbide, bien qu’elle capture toujours l’extérieur, est toujours le reflet de son intérieur. A travers ses voyages, ses découvertes et ses rencontres, c’est toujours soi-même et ce qui l’habite qu’elle recherche et qu’elle essaye de capturer.
Graciela Iturbide – Heliotropo 97
Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail 75014 Paris
Du 12 février au 29 mai 2022